L’ADNe : un outil de prédilection pour les relevés de moules d’eau douce
22 novembre 2022
22 novembre 2022
Les projets d’infrastructure exigent souvent des relevés de moules d’eau douce, et l’ADN environnemental est un moyen efficace et sûr de les réaliser
Par Cody Fleece et Nathaniel Marshall
Moules sheepnose, rabbitsfoot, ou encore « mulette verruqueuse ». Avec des noms aussi pittoresques, les moules d’eau douce indigènes comptent parmi les animaux aquatiques les plus fascinants d’Amérique du Nord.
Vous ne verrez peut-être jamais une moule d’eau douce : elles vivent partiellement enfouies au fond des rivières et des lacs. Mais elles jouent un rôle essentiel dans le filtrage et la clarification de l’eau. Selon l’agence américaine U.S. Fish and Wildlife Service, une colonie de moules d’eau douce en bonne santé s’étendant sur une distance d’à peine deux terrains de football peut filtrer plus de 500 000 litres d’eau par jour. Les moules ont également des cycles de vie complexes, dépendant de poissons-hôtes pour transporter et distribuer leur petite progéniture parasite.
Les moules sont sensibles à la pollution et aux perturbations de leur habitat, et leur population a diminué dans toute l’Amérique du Nord – la situation d’environ 70 % des espèces nord-américaines est jugée préoccupante. Des lois existent pour les protéger, et plus de 90 espèces sont répertoriées par le gouvernement fédéral comme étant menacées ou en voie de disparition.
Les promoteurs de projets en énergie, en transport, en infrastructures ou autre réalisés à proximité de rivières ou de lacs peuvent être tenus par les organismes de réglementation de prendre des mesures importantes pour protéger les moules.
L’une de ces mesures est un relevé qui permet de déterminer si un projet perturbera des colonies de moules. Ensuite, les autorités réglementaires peuvent exiger des promoteurs qu’ils collectent et déplacent les moules pour les protéger.
Pour toutes ces raisons, les projets susceptibles de perturber des moules nécessitent une expertise particulière et une planification approfondie afin de relocaliser et protéger ces organismes. La première étape nécessite l’application de méthodes efficaces afin de trouver et d’identifier les moules.
Notre équipe est composée d’experts de la faune et de la flore chevronnés en matière de réglementation, d’identification et de relocalisation des moules. Ces experts ont travaillé sur des projets visant à relocaliser des milliers de moules vivantes, y compris des espèces menacées et en voie de disparition.
Ils utilisent généralement un équipement de plongée en apnée ou en scaphandre pour procéder aux relevés. Mais récemment, une nouvelle méthode efficace a été utilisée : l’ADN environnemental (ADNe).
Des lois existent pour protéger les moules. Plus de 90 espèces sont inscrites sur la liste fédérale des espèces menacées ou en voie de disparition.
Tous les animaux aquatiques laissent des traces de leur ADN dans leur environnement à partir de leurs excréments, de leur urine, de leurs muqueuses et de leurs cellules cutanées. La méthode basée sur l’ADNe consiste à prélever des échantillons d’eau et à y rechercher la signature de ce matériel génétique.
À l’instar des analyses médicolégales d’ADN, il est possible d’utiliser l’ADNe pour confirmer la présence des animaux sans observation directe ni perturbation de l’habitat ou des individus. L’ADNe est un outil puissant pour déterminer la présence d’espèces à faible densité ou d’espèces difficiles à voir et à déceler.
Nous avons récemment démontré l’efficacité de la méthode basée sur l’ADNe pour effectuer le relevé des moules dans le cadre du projet de démantèlement d’un barrage sur la rivière Walholding, dans l’Ohio.
Avant le démantèlement du barrage Six Mile sur la rivière Walholding, l’U.S. Fish and Wildlife Service a mandaté notre équipe pour vérifier la présence (ou l’absence) de diverses espèces de moules dans la rivière à l’aide de l’ADNe. Nous savions que la rivière abritait l’une des populations de moules les plus abondantes et les plus diversifiées de l’Ohio, y compris certaines espèces répertoriées par le gouvernement fédéral sur la liste des moules à protéger.
Notre objectif était de tester l’efficacité de la méthode basée sur l’ADNe pour repérer les espèces et de comparer ces résultats avec ceux des relevés liés aux mesures de protection et de relocalisation et prévus après le démantèlement du barrage et la vidange du réservoir.
Nous avons prélevé 66 échantillons d’eau avec ADNe dans 22 sites, sur une portion d’un kilomètre et demi de la rivière. Les tests d’ADNe ont permis de déceler 22 des 24 espèces de moules présentes dans la rivière. Les deux espèces que les tests d’ADNe n’ont pas réussi à repérer n’étaient représentées que par des individus isolés sur un total de plus de 12 000 moules. D’autres espèces connues pour leur faible densité (moins de cinq individus au total) ont été identifiées à l’aide de l’ADNe, ce qui constitue un exploit remarquable.
En outre, une espèce de moule, le potamile ailé, a été identifiée par l’ADNe, mais pas par les méthodes traditionnelles.
Il est à noter que l’ADNe a permis de déceler deux espèces protégées par le gouvernement fédéral – les moules rabbitsfoot et sheepnose – dans la zone du projet.
Le projet de la rivière Walholding a démontré que la méthode de l’ADNe peut révéler la présence de plusieurs espèces de moules. Avec seulement une fraction de l’effort normalement déployé, l’ADNe permet de trouver des espèces protégées, et d’autres qui peuvent échapper aux méthodes traditionnelles de relevé. Pour en savoir plus sur ce projet, consultez notre récente publication dans Freshwater Biology.
Dans quels types de projets les relevés de moules par ADNe peuvent-ils s’avérer utiles?
Dans tout projet d’infrastructure réalisé dans un milieu où des moules peuvent être présentes. La liste des projets ayant une incidence sur un cours d’eau est longue et comprend les ponts, la réparation et le démantèlement de barrages et de digues, la stabilisation des berges, les études liées aux demandes de permis de production d’énergie hydroélectrique, les projets de prises d’eau, la construction de canaux de dérivation, et la réparation de conduites de services publics, de pipelines et de câbles enfouis. Les projets concernant les aires de loisirs figurent également sur la liste, notamment les améliorations apportées aux ports de plaisance et l’installation de quais.
Qu’il s’agisse d’une nouvelle construction, d’une réparation ou d’un démantèlement, tout projet ayant une incidence sur les colonies de moules est une occasion d’utiliser la méthode de l’ADNe.
Les agences gouvernementales responsables des ressources naturelles doivent évaluer les endroits où des moules sont présentes afin de mettre à jour la classification des cours d’eau. Elles veulent savoir ce qu’il en est :
L’ADNe peut aider à répondre à ces questions.
Qu’il s’agisse d’une étude pour un projet d’infrastructure ou de la mise à jour du statut de certaines espèces, l’ADNe est une méthode efficace et rapide de vérifier la présence de moules sur le site d’un projet et d’en faire l’inventaire. Cette méthode est particulièrement utile dans les étapes initiales afin de faciliter la planification des relevés physiques de suivi et pour déterminer les répercussions.
Les échéanciers des projets sont parfois soumis à la nécessité de procéder à des relevés des populations de moules. Par exemple, certaines autorités des États-Unis ont fixé des périodes précises pour la réalisation des relevés, parfois de mai à septembre. Ces exigences peuvent mettre les promoteurs dans une situation délicate.
Les orages, les éclairs et les inondations peuvent reporter ou empêcher l'exécution du relevé.
La plongée sous-marine ou en apnée est une méthode traditionnelle qui présente des difficultés et des risques. L'utilisation d'ADNe est plus sûre et n'est pas toujours soumise aux mêmes restrictions de temps pour l’échantillonnage de l’eau ou les analyses de laboratoire.
L’ADNe est un outil simple et efficace, applicable à une grande variété d’espèces. Notre équipe y a notamment eu recours pour trouver des salamandres de Jefferson menacées d’extinction dans des bassins de reproduction et des saumons de l’Atlantique vivant dans de petites criques. La liste des applications de l’ADNe s’allonge chaque année.
Les grands projets d’infrastructure se multiplient dans toute l’Amérique du Nord. L’ADNe est un outil efficace pour déceler les espèces aquatiques souvent insaisissables et pour respecter les délais et assurer la sécurité des employés.
Traduction du blogue publié originalement sur le site Ideas de Stantec.
À propos des auteurs :
Responsable technique national pour les écosystèmes d’eau douce, Cody est un écologiste aquatique, un spécialiste de la réhabilitation et un consultant réputé pour la qualité de ses relevés et de ses travaux scientifiques.
Spécialiste du développement et de la mise en œuvre de méthodes basées sur l’ADN environnemental, Nathaniel a travaillé sur la conservation des moules d’eau douce et sur l’identification précoce des espèces envahissantes.