Pourquoi la conception-construction progressive gagne du terrain au Canada
19 juin 2024
19 juin 2024
La réalisation de projets suivant ce mode pourrait aider les propriétaires d’infrastructures à s’adapter aux changements du marché
Par Taha Syed
Les projets majeurs sont complexes. À l’étape de la construction, de nombreux problèmes peuvent survenir : pénuries de matériaux, retards dans l’approvisionnement, problèmes de main-d’œuvre, mauvaises conditions météorologiques, etc. Pour presque tous les propriétaires d’infrastructures, il est primordial que les projets soient livrés dans les délais et dans le respect du budget. Mais comme les coûts et la complexité de ces projets ne cessent d’augmenter, comment les propriétaires doivent-ils s’adapter?
Même s’il n’est pas toujours possible de prévoir les mauvaises conditions météorologiques ou les pénuries de matériaux et de s’y préparer, il existe de nombreuses façons de contribuer à la réalisation réussie d’un projet complexe. Le choix du bon mode de réalisation est l’une des étapes les plus importantes. Deux options s’offrent principalement aux propriétaires : le mode traditionnel ou la conception-construction progressive, aussi appelée conception-construction par étape. Chacun présente des avantages et des inconvénients. La conception-construction progressive s’est imposée comme une approche qui mérite d’être explorée.
Les nouvelles réalités du marché constituent le principal facteur de ce changement. En moyenne, les projets coûtent plus cher et prennent plus de temps à réaliser. Selon un récent rapport de HKA, une société de consultation internationale de premier plan dans le domaine de l’atténuation des risques, les projets de construction ont connu dans l’ensemble une augmentation importante des dépassements de coûts et de délais, les différends relatifs aux coûts s’élevant en moyenne à 100 millions de dollars. Un montant qui représente plus d’un tiers du budget initial de ces projets. Le Canada n’a pas connu les mêmes dépassements de coûts et de délais qu’ailleurs. Mais il arrive que les dépassements soient importants. Au Canada, les différends relatifs aux coûts représentent en moyenne un cinquième du budget initial. Il s’agit tout de même d’une proportion importante.
La conception-construction progressive offre aux propriétaires une nouvelle façon de lutter contre les dépassements coûteux et de travailler avec les concepteurs-constructeurs à chaque étape d’un projet. De plus, elle encourage la collaboration, ce qui présente de nombreux avantages par rapport aux modes traditionnels. Voici les trois principaux modes traditionnels de réalisation de projet : conception-soumission-construction, conception-construction et partenariat public-privé. Ces modes ont permis aux propriétaires d’avoir un certain degré de certitude en matière de conception, de coûts et d’échéancier d’un projet. Mais dans le marché actuel, il est plus difficile de tirer profit de ces avantages. C’est pourquoi la conception-construction progressive offre une grande valeur ajoutée.
La conception-construction progressive améliore certains aspects des modes traditionnels qui peuvent ne pas convenir à certains projets. La principale différence réside dans le fait que l’équipe de conception-construction participe au processus dès le début. Les membres de cette équipe travaillent ensemble pour faire la conception de l’ouvrage. En revanche, les modes traditionnels prévoient l’intervention de l’entrepreneur après l’élaboration de la conception par un consultant. Règle générale, lorsqu’un propriétaire d’infrastructures souhaite lancer un projet de construction, il fait d’abord appel à un concepteur pour l’aider à faire la conception préliminaire. Puis, une fois la conception achevée, il entame le processus d’appel d’offres auprès des entrepreneurs et des promoteurs. Lorsque l’entrepreneur est sélectionné, le projet passe à l’étape de la construction.
Pour démarrer un projet en mode de conception-construction progressive, les propriétaires choisissent d’abord un concepteur-constructeur. Il s’agit de l’entrepreneur général qui passe un contrat avec les consultants en conception. Une fois l’équipe concepteur-constructeur choisie, ses membres réalisent l’ensemble du projet en deux étapes. La première, également appelée étape de développement, comprend les services de préconstruction au cours desquels le concepteur-constructeur et le maître d’ouvrage travaillent ensemble sur la conception, l’échéancier et les coûts.
Une fois les services de conception et de préconstruction achevés, et les modalités commerciales (coûts et échéancier) convenues, le projet entre dans sa deuxième étape, celle de la mise en œuvre. Cette dernière comprend généralement la conception finale (si elle n’a pas été achevée au cours de la première étape), la construction, les essais et la mise en service. Si les parties concernées ne parviennent pas à un accord au sujet des modalités commerciales, le propriétaire se réserve le droit de recourir à une « voie de sortie » et de résilier le contrat. Cette option permet au propriétaire d’utiliser la conception du concepteur-constructeur initial tout en faisant avancer le projet par l’entremise d’une autre stratégie d’approvisionnement.
La principale différence entre la réalisation traditionnelle d’un projet et la conception-construction progressive réside dans le fait que dans ce second mode, la collaboration a lieu dès le début du projet. Le propriétaire travaille avec le même concepteur-constructeur tout au long des étapes, plutôt que d’engager des parties individuelles pour chaque étape du projet. Cette approche s’est avérée beaucoup plus fiable dans des conditions de marché instables.
Bien que les contrats de conception-construction progressive présentent de nombreux avantages, ils s’accompagnent également de difficultés. Par exemple, il n’est pas rare que les équipes de projet éprouvent des problèmes de collaboration initiale lors d’un premier contrat. On constate généralement une telle situation lorsque les équipes de projet ont connu des conditions contractuelles difficiles, ce qui les a amenées à adopter une attitude moins collaborative. Cette attitude va à l’encontre de l’objectif principal de la conception-construction progressive et conduit souvent à des frictions initiales. Dans les projets réalisés selon des modes traditionnels, des procédures de résolution des litiges sont souvent mises en place. En revanche, les contrats de projets en conception-construction progressive visent à prévenir les litiges et mettent l’accent sur la résolution des problèmes de manière collaborative. C’est pourquoi, en cas de litige, les propriétaires peuvent trouver qu’il est plus facile de s’y retrouver dans les modes traditionnels.
La réalisation par étape offre aux maîtres d’œuvre une nouvelle façon de lutter contre les dépassements coûteux et de travailler avec les concepteurs-constructeurs à chaque étape d’un projet.
Nous avons dit que la conception-construction progressive avait la capacité de favoriser une meilleure collaboration. Dans les faits, comment cela se traduit-il? Pour le projet de prolongement de la ligne de métro vers Scarborough (Ontario), il fallait que l’équipe de réalisation du projet soit installée dans un espace de travail partagé comprenant notamment des salles communes de réunion et de pause, et qu’elle bénéficie d’une plateforme SharePoint, d’une formation des employés et d’un comité social communs. Pour beaucoup, il s’agissait d’une approche radicalement différente. Mais elle a permis d’améliorer la communication et l’efficacité de l’équipe tout en offrant aux employés de meilleures occasions d’apprentissage et de développement.
Le marché canadien des infrastructures se trouve à un tournant décisif. Le secteur a connu une hausse des pénuries de main-d’œuvre, des coûts des matériaux et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement. Par conséquent, les projets de construction complexes deviennent plus difficiles à réaliser. Ces facteurs, ainsi que l’importance croissante accordée au développement durable, ont contraint les propriétaires d’infrastructures à repenser leur approche de la réalisation des projets. L’augmentation des risques rend certains entrepreneurs réticents à soumissionner pour des projets, ce qui empêche la progression de projets d’infrastructures publiques clés. En d’autres termes, les modes traditionnels de réalisation ne sont tout simplement plus à la hauteur. Pour répondre à la demande de nouvelles infrastructures dans tout le pays, les stratégies doivent évoluer. Les solutions qui favorisent le développement durable et qui présentent moins de risques sont essentielles à cette évolution.
Nous constatons déjà que le mode de conception-construction progressive est utilisé pour certains des plus grands projets à haut risque dans le domaine des transports et des établissements de soins de santé au Canada. Par exemple, l’équipe de Stantec a travaillé avec Metrolinx et Infrastructure Ontario pour fournir des services de gestion de programme dans certains des plus grands projets de transport en commun de l’Ontario. Plusieurs des contrats avaient été établis suivant le mode de conception-construction progressive, dont celui du prolongement du métro de Scarborough (stations, rails et réseaux) mentionné ci-dessus. Il s’agit du premier grand projet de transport en commun en Ontario réalisé selon ce mode.
Le projet de prolongement vers l’ouest de la ligne de métro Eglinton Crosstown (stations, rails et réseaux, de Mount Dennis à Renforth Drive) en Ontario fait également appel au mode de conception-construction progressive. Les deux principaux lots de travaux de la ligne Ontario – le tunnel Pape et les stations souterraines, ainsi que la voie de guidage et les stations surélevées – seront réalisés selon cette méthode. Le projet comprend la construction d’une ligne de transport en commun rapide de 15 kilomètres reliant le Centre des sciences de l’Ontario à la Place Ontario.
Alors que de plus en plus de propriétaires d’infrastructures cherchent à explorer d’autres modes de réalisation de projets, il faut s’attendre à ce que la conception-construction progressive gagne du terrain. Ce mode facilite la résolution des problèmes auxquels sont confrontés de nombreux projets, ce qui en fait un outil inestimable. Il favorise la collaboration, réduit les risques et aide les projets à rester sur la bonne voie. Le marché actuel privilégie la certitude de réussite des projets. Il est donc essentiel de limiter les dépassements de coûts et d’échéanciers pour en assurer le succès.
Traduction du blogue publié originalement sur le site Ideas de Stantec.
À propos de l’auteur :
Urbaniste et planificateur en poste au bureau de Stantec à Toronto, Taha est spécialisé dans la gestion des échéanciers et de la valeur acquise, les rapports, les processus et les procédures pour les projets d’immobilisations majeurs dans le monde entier.