Quatre questions que les agences de transports en commun doivent se poser dans la foulée de la pandémie de COVID-19
29 avril 2020
29 avril 2020
Le transport en commun s’apprête à vivre un bouleversement majeur. C’est le temps où jamais de s’y préparer.
Par Graeme Masterton
Tous les experts du transport en commun vous le diront : la COVID-19 nous conduit en territoire complètement inconnu en matière de planification des transports. La dernière pandémie mondiale a eu lieu tout juste après la Première Guerre mondiale, alors que peu de villes disposaient d’un système de transport en commun d’envergure.
Les directives des gouvernements en matière de confinement et d’éloignement social ainsi que la hausse du taux de chômage ont entraîné une chute drastique de l’achalandage dans les transports en commun à travers le monde. Le 13 avril, GO Transit, qui exploite les lignes de banlieue dans la région de grand Toronto et d’Hamilton, a indiqué que l’achalandage a diminué de 90 % depuis le début de la pandémie.
La pandémie se résorbera avec le temps, mais la crise en elle-même aura des effets à long terme sur la planification des transports. Nous ne pouvons pas prédire l’avenir, mais il y a quatre questions que les agences de transport en commun doivent se poser afin de s’y préparer.
La baisse de l’achalandage dans les transports en commun entraîne inévitablement une chute des revenus. Dans le cas de GO Transit, les revenus sont passés d’environ 11 millions de dollars par semaine à 1,1 million par semaine. D’ailleurs, les agences de transport en commun de plusieurs secteurs demandent une aide financière massive afin de maintenir leurs opérations durant la crise.
Mais il y a plus en jeu que la réduction des revenus provenant des titres de transports. Les taxes sur l’essence, qui constituent une importante source de revenus pour le transport en commun de plusieurs régions, sont en déclin depuis des années. Et alors que les véhicules sont de plus en plus économes en carburant — et que les véhicules électriques sont appelés à devenir la norme — on peut s’attendre à ce que cette tendance se maintienne.
Plusieurs administrations aux États-Unis financent également le transport en commun et autres secteurs du transport à l’aide de taxes de vente spécifiques. La « Measure M » à Los Angeles — une augmentation de la taxe de vente destinée à financer les transports en commun majeurs — qui constitue environ la moitié du budget de LA Metro, avec la construction de nouveaux systèmes de transport. Mais avec la baisse de la consommation, quelles seront les conséquences sur cette source de financement? Les achats en ligne pourront-ils compenser ces pertes?
D’autres agences de transport, comme le Edmonton Transit Service, ont temporairement instauré la gratuité afin de soutenir les mesures d’éloignement social et d’offrir un répit aux citoyens. Y aurait-il des leçons à tirer de villes comme Tallinn, Luxembourg et Kansas City, qui ont mis en place une politique permanente de gratuité du transport en commun?
Chez Stantec, près de la totalité de nos 22 000 employés font maintenant du télétravail. Nous continuons à servir nos clients et à travailler pour eux chaque jour. Presque toutes les entreprises qui en avaient la possibilité ont fait de même.
Alors que les entreprises démontrent qu’elles peuvent mener leurs activités, offrir des services et demeurer rentables avec une main-d’œuvre en télétravail, nous pouvons nous demander pendant encore combien de temps elles souhaiteront occuper de grands immeubles de bureaux. Est-ce que certaines entreprises voudront diminuer leur empreinte liée à l’immobilier? Est-ce que d’autres opteront pour de plus petits espaces, moins centraux? Cela pourrait avoir une incidence profonde sur les habitudes de déplacement, qui pourraient à l’avenir s’effectuer de manière plus dispersée.
Pourrait-on voir apparaître une heure de point en mi-journée, alors que les gens vont se réunir à l’heure du lunch? Le télétravail gagnant en popularité, les gens devront toujours se déplacer, mais pour des raisons différentes. Ces tendances vont se concrétiser avec le temps, et les habitudes varieront d’un secteur à l’autre.
En plus de la nécessité de comprendre comment maintenir les services de base, les agences doivent aussi commencer à regarder de quoi sera fait l’avenir.
L’éloignement social et ses incidences sur l’achalandage dans les transports en commun ont amené plusieurs villes à réduire leur niveau de service dans certaines régions. Nous devons donc nous poser la question : quelles sont les conséquences de la baisse de service sur l’équité au sein des collectivités? L’accès équitable au transport en commun pour les personnes à faible revenu et non-blanches est une grande préoccupation aux États-Unis en temps normal, ce l’est encore plus maintenant.
Par exemple, dans la ville de New York, alors que l’achalandage dans le métro a baissé de manière généralisée, plusieurs stations et lignes demeurent très achalandées dans les quartiers défavorisés. Plusieurs de ces usagers n’ont pas d’autres options que le transport en commun. Une baisse de la fréquence du service dans entraînera donc une augmentation du nombre d’usagers par train, ce qui réduit la capacité à respecter l’éloignement social. Ailleurs, à Los Angeles notamment, l’achalandage dans les transports sur rails a plus diminué que celui dans les autobus, alors que les usagers d’autobus sont plus défavorisés.
Les ouvriers, les personnes à faibles revenus et tous les travailleurs essentiels aux activités de la ville dépendent souvent des transports en commun. Retirer un trajet ou arrêter le service une heure plus tôt peut avoir des conséquences humaines qui vont au-delà des considérations financières. Cela pourrait nécessiter un changement de philosophie et l’adoption d’indicateurs de performance plus diversifiés en matière de gestion des transports, plutôt que de mettre l’accent sur le taux d’achalandage et les coûts.
À To7/whos-still-crowding-into-ttc-buses-amid-the-pandemic-evidence-suggests-many-are-torontos-working-pronto, la Toronto Transit Commission a noté un achalandage important dans certains circuits d’autobus, attribuable aux ouvriers et aux résidents à faible revenu. L’agence a donc choisi d’augmenter le service de certains de ces circuits afin de permettre le respect de l’éloignement social.
Sans oublier que plusieurs des utilisateurs des transports en commun sont des travailleurs dits essentiels – des professionnels de la santé, des employés d’épicerie ou de commerces de détail et tous les travailleurs participant au maintien de la chaîne d’approvisionnement durant la crise.
Dans l’avenir, il faudra se concentrer davantage sur le déplacement sécuritaire des personnes plutôt que sur le déplacement de véhicules ou de certains types de véhicules.
Le changement s’amorce graduellement. Dans plusieurs secteurs, le transport en commun prend de l’expansion et les collectivités exigent des solutions alternatives ainsi que des déplacements plus aisés autour des villes. Cela amène la nécessité de gérer le transport en commun d’une manière plus globale.
Est-ce que les agences dans le monde peuvent prendre les devants en recherchant activement des manières d’intégrer les différents services dans un système global qui serait stratégique, planifié et équitable pour les citoyens?
Durant la pandémie de COVID-19, le vélo et autres modes de déplacement similaires sont vus comme une solution à l’éloignement social, tout en gérant la congestion. Depuis de début de la pandémie, les ventes des vélos électriques ont bondi à Victoria, en Colombie-Britannique, et Bogota a ouvert 76 kilomètres de pistes cyclables afin d’encourager ce mode de déplacement.
Le développement du transport microcollectif fait partie intégrante de la solution. Raccorder l’ensemble du réseau et améliorer les services aux personnes âgées et à mobilité réduite grâce à un service plus accessible ne sont que quelques-uns des avantages de l’ajout du transport microcollectif au réseau.
En résumé, la COVID-19 a provoqué une chute importante et temporaire de l’achalandage pour toutes les agences de transport. En plus de la nécessité de comprendre comment maintenir les services de base, ces agences doivent aussi commencer à regarder de quoi sera fait l’avenir. Les outils d’analyse de données peuvent être mis à profit pour revoir les habitudes avant, pendant et après les restrictions, établissant ainsi une référence. Celle-ci pourrait ensuite être utilisée pour comprendre s’il y a eu un changement de paradigme dans l’utilisation du transport en commun après la pandémie. Planifier aujourd’hui peut aider à revoir et à mieux harmoniser nos réseaux de transport pour l’avenir.
Il est impossible de mesurer les impacts psychologiques de la COVID-19 sur le transport en commun sans y mettre plus de temps et sans procéder à un examen minutieux. Un changement majeur s’opérait déjà dans le secteur du transport en commun avant la pandémie; cette crise va-t-elle accélérer ce changement, ou nous emmener dans une toute nouvelle direction? Quoi qu’il en soit, les attentes des citoyens face au transport en commun vont changer à la suite de cette pandémie, et nous devons nous y préparer dès maintenant.